Gestion publique et mécénat: éviter les cadeaux empoisonnés

Dans le contexte actuel de baisse des subventions et de stress budgétaire, le mécénat apparaît comme une alternative de financement séduisante pour les administrations. Il reste cependant essentiel de mener des études préalables pour s’assurer de la pertinence du projet, en prenant notamment en compte les frais de collecte. Les administrations doivent également veiller à bien définir leur stratégie de mécénat pour éviter toute incompréhension de la part de leurs administrés ou de leurs financeurs institutionnels.

Introduit par la loi n° 2003-709 du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations (loi « Aillagon »), le mécénat se définit comme un soutien matériel apporté sans contrepartie directe de la part du bénéficiaire, à une œuvre ou à une personne pour l’exercice d’activités présentant un caractère d’intérêt général. On distingue trois types de mécénat : le mécénat financier qui consiste en un don en numéraire, le mécénat de compétences qui est la mise à disposition gracieuse de personnels et le mécénat en nature qui constitue un bon de biens.

Dans le contexte de raréfaction des fonds publics, le mécénat peut constituer une alternative séduisante. Déjà pratiqué dans le secteur public culturel, toutes les administrations sont aujourd’hui invitées à y recourir. Les entreprises privées et les particuliers sont, eux aussi, incités par les avantageuses mesures fiscales mises en œuvre dans le domaine (sous réserve d’éligibilité du bénéficiaire, articles 200 et 238 bis du Code général des impôts).

Une entreprise peut ainsi déduire de son impôt sur les entreprises 60 % de son don dans la limite de 0,5 % de son chiffre d’affaires tandis qu’un particulier a la possibilité de déduire 75 % de son don au titre de l’impôt sur le revenu à hauteur de 521 euros par an (au-delà, son don est déductible à hauteur de 66 % dans la limite de 20 % de votre revenu net imposable).

Mesures fiscales incitatives, baisses des ressources publiques et stress budgétaire, développement de la responsabilité sociétale des entreprises, il n’en faut pas plus pour voir fleurir dans les administrations de l’État, les universités, les musées, les hôpitaux, mais également dans les collectivités locales, des initiatives visant au développement de politiques de mécénat.

Au-delà du seul secteur culturel, on cherche dorénavant à diversifier les initiatives dans les champs du social, de l’environnement, du sport, de l’égalité homme-femme, etc. Mais gare aux miroirs aux alouettes. Pour mener leurs opérations de mécénat, les administrations peuvent décider de gérer en interne les projets ou de passer via une structure juridique intermédiaire qui agit en « front office », à l’instar des fondations ou des « très à la mode » fonds de dotation. Ces questions imposent une véritable conduite de projet qui ne peut faire l’économie d’une étude d’opportunité attachée à la nature des projets portés par l’administration, aux cibles de ressources pouvant être récoltées par le mécénat, mais également aux coûts associés à la mise en place d’une telle démarche.

En ce qu’il est attaché à un projet d’intérêt général, porteur en termes d’image et de valeurs que le mécène souhaite partager avec l’entité publique bénéficiaire, le mécénat revient pour l’administration à « vendre un produit ». Le caractère extrêmement concurrentiel du « marché » des potentiels bénéficiaires du mécénat ajoute à cet aspect « marketing » que l’administration se doit d’intégrer.

Ainsi le « produit à vendre » ne doit-il pas faire sortir l’administration de sa spécialité (pour un établissement public qui répond, rappelons-le, au principe de spécialité eu égard aux missions de service public qui lui sont confiées dans ses statuts) ou de ses prérogatives organiques (pour une collectivité locale dont le champ d’intervention est évidemment plus large).

Il convient donc de mener une étude précise pour identifier les projets possibles et approcher les mécènes qui seraient les mieux disposés en considération de ces projets. Surtout, l’administration doit rester maîtresse de l’utilisation de la ressource qui lui est allouée. Celle-ci ne doit surtout pas avoir pour conséquence de créer ou d’aggraver ses charges.

Pour cela, il faut tenir compte des coûts cachés. Prenons l’exemple du don d’un tracteur-tondeuse aux usagers d’un plateau-technique de formations à l’entretien des espaces verts mis en place par une région, il faut envisager le mécénat en tenant compte évidemment de la valeur du don du véhicule, mais également de ses coûts de maintenance, de son assurance, etc.

À défaut, le « cadeau » peut se révéler empoisonné. Également, on ne saurait mettre en place une démarche de mécénat sans questionner les frais de collecte de fonds. À partir des ressources utilisées par l’administration, on doit être capable de viser un objectif de ressources nettes en mécénat (ressources nettes = fonds collectés – frais totaux de collecte) pour déterminer si l’opération est potentiellement rentable en routine.

Quel que soit le portage du mécénat (direction interne ou création d’une fondation ou d’un fonds de dotation, etc.), des frais de collecte sont incompressibles. Ils concernent toutes les dépenses directes ou indirectes engendrées par la création de la structure : les loyers des bureaux, les salaires du personnel, les fluides, les achats de mobiliers et de fournitures, les assurances et toutes les diverses autres charges.

Sur cette base, il est évident qu’un objectif de récolte de fonds issus du mécénat inférieur à 1 % des ressources budgétaires peut ne pas justifier la mise en place d’une politique de mécénat. Le 1 % de financements pouvant être atteint par des gains d’économies issus de l’optimisation des achats, par une gestion budgétaire adaptée, ou par toute autre mesure de gestion.

Il faut par ailleurs envisager le mécénat comme une source de financement complémentaire. C’est-à-dire du financement pour des projets non budgétés en propre. Sûrement pas comme un financement se substituant au budget principal. Dans le cas contraire, la démarche de mécénat peut encore se retourner contre l’administration.

D’une part, la sollicitation peut alors être mal comprise par l’entreprise, laquelle peut estimer, surtout dans le contexte actuel, être déjà suffisamment taxée. Le choix de la structure dédiée à la récolte des fonds (interne ou structure extérieure) est à ce titre primordial dans la stratégie de collecte de l’administration. En effet, les entreprises ont peine à délivrer des chèques à l’ordre du « Trésor public » et ont forcément plus de facilités à consentir à financer une structure tierce disposant d’une image « extra-administrative ».

D’autre part, pour les financeurs institutionnels, le mécénat peut constituer un prétexte justifiant de baisser leur subvention. Par exemple, le ministère de tutelle d’un établissement public de l’État peut trouver dans sa politique de mécénat, l’occasion de réduire sa subvention en considérant qu’il n’y a plus de besoin de maintenir le niveau initial de subvention étatique compte tenu du fait qu’une partie des projets dudit établissement peut aujourd’hui être financée par le mécénat.

Enfin, d’un point de vue plus opérationnel, l’administration doit rester vigilante au regard des règles des marchés publics. Elle doit veiller à ce que l’opération de mécénat ne soit pas requalifiée en marché public, d’autant plus lorsqu’est prévue par la personne publique une contrepartie (comme par exemple, l’organisation de visites) au bénéfice du mécène, le caractère onéreux des marchés publics ne résultant pas nécessairement du versement d’une somme d’argent par la personne publique.

Sous réserve de pouvoir anticiper ces risques, la démarche de mécénat doit être encouragée, notamment pour les collectivités territoriales qui partagent assurément avec les entreprises des objectifs d’attractivité d’un territoire. Le mécénat responsabilise l’entreprise sur des projets fédérateurs et contribue à gommer quelque peu la tenace frontière entre sphère publique et privée, cela au profit de l’intérêt général.

Un article de Pierre-Ange Zalcberg


Source

http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-119244-gestion-publique-et-mecenat-eviter-les-cadeaux-empoisonnes-1069235.php