Le mécénat, véritable niche fiscale ?

Le mécénat repose sur une disposition fiscale, en France, comme dans la plupart des pays qui connaissent un système similaire, qui peut–être contestée parfois (voir à cet égard par exemple, l’article d’Yves Marek, Le mécénat, hold-up d’Etat ?). Mécénat conseil s’interroge aujourd’hui sur l’effet de l’incitation fiscale.

La loi Aillagon de 2003 visait à encourager le mécénat, principalement d’entreprise, mais aussi celui des particuliers, grâce à une augmentation significative de l’avantage fiscal octroyé à une personne physique ou morale choisissant de faire don d’une somme d’argent à une œuvre considérée comme participant à l’intérêt général. Les dispositions mises en place alors prévoyaient une réduction fiscale de 60% du montant du don pour les entreprises, et de 66% pour les particuliers. La réduction fiscale signifiant que la somme peut être déduite directement du montant des impôts de la personne concernée. Une disposition volontairement très intéressante. Pour autant, se poser la question de l’impact d’un tel dispositif est indispensable. Aujourd’hui, certains critiquent une niche fiscale qui coûte très cher à l’Etat. Il convient toutefois de rappeler qu’il s’agit d’argent qui est nécessaire aux acteurs qui le reçoivent, sans lequel certains projets seraient sans doute condamnés à disparaître. Par ailleurs, l’Etat pourrait avoir à financer ces montants à hauteur de 100%.

En l’occurrence, les chiffres considérés ici sont significatifs : la « dépense » consentie par l’Etat est passée de 90 millions d’euros en 2004 à 635 millions en 2014, soit une augmentation de 605%. Pourquoi la puissance publique accepte-t-elle le maintient, voire l’encouragement d’un tel poste de dépense à l’heure actuelle ? Tout simplement parce qu’il lui permet de ne pas subir de sortie de trésorerie, que pourrait représenter l’octroi de subventions ou de crédits directs aux acteurs concernés.

Mais il faut tout de même étudier l’impact réel, puisque ce dernier est parfois contesté. Les études de l’ADMICAL à cet égard sont intéressantes : seules 45% des entreprises mécènes utilisent ce dispositif, même si ces chiffres cachent de très grandes disparités entre les TPE et les plus grosses entreprises. L’avantage fiscal est particulièrement peu utilisé lorsqu’il s’agit de déclarer du mécénat en nature et en compétences. Cela peut être expliqué par le fait qu’il faille consacrer du temps à l’évaluation du coût que représente l’action de mécénat, les entreprises de taille modeste n’ayant pas forcément les équipes en interne dédiées à ce genre de questions.

Karen Nielsen est l’auteur d’un ouvrage sur le mécénat traitant ces questions de manière approfondie. Elle considère ainsi que « [l’argument fiscal] ne peut expliquer [à lui] seul l’allocation de ressources par l’entreprise à une action d’intérêt général qui ne rentre pas dans sa fonction de création de richesses ». Elle évoque d’abord les autres niches fiscales qui entrent en concurrence directe avec celle du mécénat, et qui peuvent se révéler plus intéressantes. Ensuite, elle pointe l’« insensibilité fiscale » de certaines entreprises, c’est à dire qu’elles ne peuvent profiter de la réduction d’impôts, pour des raisons diverses.

Par ailleurs, certaines entreprises ne font pas usage des possibilités de réduction, soit par méconnaissance des dispositifs, soit en raison d’un soutien à une structure non éligible ou bien encore par choix. Il est possible de citer à cet égard la RATP et France Télévisions, qui n’ont pas défiscalisé les sommes versées dans le cadre de la création de leurs fondations.

L’impact de la réduction fiscale est donc à comprendre dans deux optiques différentes : d’une part, seules les entreprises qui la comprennent et qui mettent en place les moyens pour l’utiliser effectivement sont concernées ; d’autre part, elle peut être l’« accélérateur » de la décision d’une entreprise ou d’un particulier qui n’est pas encore mécène. Mais elle ne doit pas être considérée comme l’unique raison pour laquelle les entreprises choisissent de s’engager dans une démarche de mécénat. En effet, les bénéfices tirés en termes de communication ou de management, par exemple, sont souvent aussi, voire plus importants pour les entreprises que la réduction d’impôt. Les particuliers, qui ne tirent pas nécessairement de bénéfices en termes de communication, d’image – plus généralement, qui ne peuvent pas considérer le mécénat comme un moyen de produire de la valeur – sont peut-être plus directement intéressés par le dispositif fiscal, qui plus est car il est encore plus intéressant en ce qui les concerne. Cependant, l’engagement personnel est sans doute également à prendre en compte ici.

Pierre Joffre


 

Sources

Enquête ADMICAL-CSA 2014, Le mécénat d’entreprise en France, réalisée auprès de 1019 entreprises françaises, à partir d’un salarié.

Nielsen, Karen, 2007, Le mécénat mode d’emploi, Editions Economica, 274 pages.