Le social contre la culture ?

Le monde de la culture est bien conscient des difficultés qu’il a, de plus en plus, à collecter les sommes dont il aurait besoin au titre du mécénat.

Diminution de la part de la culture dans le budget du mécénat

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : de 2008 à 2010, le mécénat culturel a accusé une baisse de 63%, passant de 975 à 380 millions d’euros. Il représentait alors 19% du budget total du mécénat. Cette tendance ne n’étant pas inversée, puisque d’après les chiffres de l’ADMICAL dans son baromètre 2014, le budget consacré à la culture s’élevait à 364 millions d’euros, soit une baisse absolue, mais également relative, puisqu’il ne représentait plus que 13% du budget général du mécénat.

La crise étant bien entendu responsable en partie de cette diminution, d’après les analyses communes, le mécénat ayant été globalement en baisse durant cette période. Mais il est clair que la diminution de la part relative du mécénat s’explique également par d’autres moyens. La culture n’est en effet pas considérée comme prioritaire, notamment dans les périodes économiques difficiles : « la culture est parfois perçue comme un luxe, et les entreprises ont peur qu’on leur reproche des dépenses plus difficiles à justifier pendant des périodes où les priorités sont plutôt au social et à la relance de l’économie » déclarait à ce propos Olivier Tcherniak, ancien président de l’ADMICAL.

Comment expliquer la désaffection dont font preuve aujourd’hui les entreprises vis-à-vis de la culture, alors même que le public est demandeur d’une offre culturelle riche et développée ?

Il convient de considérer plusieurs explications. Tout d’abord, les entreprises ont tendance à donner des sommes moins importantes qu’auparavant. Or, le patrimoine coûte cher à entretenir, les budgets des expositions ne diminuent pas… Le mécénat étant devenu un véritable instrument de communication, les entreprises qui donnent préfèrent faire bénéficier de grosses structures qui les rassurent quant aux retombées en termes de visibilité. Ce biais les conduit aussi à refuser, bien souvent, que leurs actions soient associées à celles d’autres mécènes, alors que cette solution pourrait être une alternative crédible à la contraction de leur engagement en faveur de la culture et du patrimoine. Rares sont les opérations désormais, où les mécènes choisissent d’offrir une somme colossale pour une restauration, même si quelques exemples viennent en tête.

Mécénat croisé

Ce qui inquiète aussi les acteurs de la culture est la tendance de plus en plus grande des mécènes à avoir recours au concept de mécénat croisé. Il s’agit d’un financement qui vient en soutien à un projet qui relève d’au moins deux champs d’intervention, dans le domaine du mécénat. En l’occurrence, le mécénat culturel voit ses crédits fondre, au bénéfice du secteur social, bien souvent. Ainsi, plutôt que de financer une restauration ou une exposition, une entreprise mécène va bien souvent désormais financer l’accessibilité des collections permanentes des musées, ou bien de leurs expositions temporaires. Soit en termes physiques, principalement pour les personnes atteintes d’un handicap, quel qu’il soit ; soit en termes « sociaux », c’est à dire financer l’accès à des populations dites « éloignées des musées », pour des raisons géographiques, d’origine sociale… Si le bien fondé de ces pratiques n’est évidemment pas à remettre en question ici – il est normal et positif d’encourager et de faciliter l’accès à la culture pour tous – il convient de préciser que les acteurs concernés sont tous d’accord sur ce sujet : rendre accessible le patrimoine n’est possible que si celui-là est encore en état d’accueillir du public. Le mécénat solidaire dans le monde de la culture ne doit donc pas se faire au détriment du mécénat culturel plus classique.

Ces questions sont particulièrement d’actualité et les différentes personnes concernées s’en saisissent. Le ministère de la culture et de la communication organisait le jeudi 2 octobre un « jeudi du mécénat » sur le thème « Mécénat et accès aux arts et à la culture pour tous les jeunes » ; la Fondation Total organise un colloque « Apprendre par l’art, un art d’apprendre », les 15 et 16 octobre prochains, dans la droite ligne du thème porteur de l’éducation artistique et culturelle. Les musées mettent en place diverses initiatives à destination des publics empêchés et éloignés, qui sont souvent financées par des entreprises : le musée du Quai Branly et ses initiatives en faveur des personnes atteintes de handicap ; le château de Versailles et son partenariat avec la Fondation Française des Jeux… Les ministères concernés se saisissent de la question en mettant en place des partenariats.

Les initiatives ne manquent donc pas dans la culture, pour financer les projets qui profitent à tous, mais encore faut-il réussir à conserver le patrimoine, pour que tout un chacun puissent y accéder.


Sources :

http://www.lemonde.fr/societe/article/2011/10/26/les-fondations-culturelles-deviennent-inconditionnelles-du-mecenat-croise_1593911_3224.html

http://www.lemonde.fr/culture/article/2011/03/24/le-mecenat-d-entreprise-deserte-la-culture_1497900_3246.html

http://www.carenews.com/fr/news/839-dis-flavie-c-est-quoi-le-mecenat-croise

http://www.mecenova.org/info-glossaire.php?l=M