Loi Evin et mécénat

Après les récentes interrogations à propos de la bâche publicitaire de Heineken disposée sur la façade de la Monnaie de Paris, en cours de rénovation, Mécénat conseil a décidé de se pencher sur la question des rapports qu’entretiennent les producteurs d’alcool avec le mécénat.

La publicité, et de manière plus générale, la communication autour de l’alcool a été fortement réglementée en janvier 1991 avec la loi Evin. Certains types de publicités ou de communications sont explicitement autorisés par le texte, à l’inverse, tous les autres supports non évoqués sont réputés interdits. D’où les critiques relatives à la bâche publicitaire de la Monnaie, qui est a priori considérée comme illégale. Le mécénat est toutefois autorisé pour les marques d’alcool, comme le dispose l’article L3323-6 de la loi :

                                       Le ou les initiateurs d’une opération de mécénat peuvent faire connaître leur participation par la voie exclusive de mentions écrites dans les documents diffusés à l’occasion de cette opération ou libellées sur des supports disposés à titre commémoratif à l’occasion d’opérations d’enrichissement ou de restauration du patrimoine naturel ou culturel.

Les dispositions de la loi devaient être complétées au départ par un décret d’application de 1993. Mais ce décret ayant été annulé, la loi a été modifiée afin d’en permettre l’application. Le texte manque toutefois de précision : les « mentions écrites » ne sont pas définies clairement, ce qui pose question sur ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. De même, que signifie « documents diffusés » ? S’agit-il de flyers, d’affiches, de programmes ? Les « supports disposés », font-ils référence à des cartels ? Est-il légal de graver dans la pierre le nom d’une entreprise qui produit de l’alcool en tant que mécène d’un monument, par exemple ? La loi est donc relativement vague sur ce qui est permis ou non, et laisse quelque part libre champ aux acteurs pour expérimenter, au risque de voir leurs actions de mécénat requalifiées en publicité déguisée, risquant donc des amendes, la déduction fiscale étant remise en cause.

Le décret de 1993, bien que non appliqué, donne des pistes de réponse quant aux interrogations précédentes :

                    Les seuls documents sur lesquels la mention écrite du nom du mécène peut apparaître sont :

                                        1° Les documents utilisés dans les relations avec la presse : encarts de presse, dossier de presse, communiqués de presse et tous documents utilisés avec la presse ;

                                        2° Les documents utilisés dans la mise en œuvre de l’opération : affiches promotion-vente, programmes, billetterie, cartons d’invitation, catalogues, brochures ;

                                        3° Les produits qui font l’objet de l’opération de mécénat : ouvrages d’édition littéraire, musicale ou artistique, œuvres cinématographiques et audiovisuelles.

Les stratégies de mécénat des alcooliers sont cependant assez importantes, pour la plupart d’entre eux. En effet, malgré les réglementations diverses, qui les empêchent de tirer profit de leur don directement – comme les autres mécènes par ailleurs – rien n’empêche les retombées presse, par exemple, qui ne relèvent pas directement de la stratégie des mécènes, ni de leur fait. Ne pouvant leur être imputées, elles ne sont pas interdites, alors qu’elles pourraient être considérées comme une publicité indirecte.

À titre d’exemple, on pourra citer plusieurs producteurs d’alcool qui sont mécènes réguliers de diverses institutions culturelles et/ou expositions. Parmi eux, le groupe Pernod-Ricard, qui est grand mécène du ministère de la Culture, à travers un soutien généreux au Centre Pompidou ou au musée du Quai Branly notamment, mais qui a aussi ouvert un lieu d’exposition d’art contemporain, où des artistes sélectionnés peuvent exposer leur travail. De même, la fondation Roederer est mécène régulier des expositions du Grand Palais, récemment par exemple avec les expositions consacrées à Bill Viola et à Raymond Depardon. Les maisons de Champagne ont une importante tradition de mécénat, particulièrement dans le domaine culturel, mais aussi une tradition ancienne de mécénat social, à travers le financement ou la création d’hôpitaux (Moët) ou de maisons de vacances (Taittinger). Si le mécénat dans le domaine de la recherche ou de l’humanitaire, par exemple, rentre moins dans les stratégies de communication des alcooliers, quelques opérations existent néanmoins. Le soutien aux expositions ou aux musées dans leurs politiques de restauration ou d’acquisition demeure le principal axe du mécénat développé par eux.

Un mécénat qui ne fait pas nécessairement l’unanimité, mais qui contribue néanmoins de manière incontestable à la protection et à la mise en valeur du patrimoine.

Pierre Joffre


Sources

Loi Evin

http://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do;jsessionid=0483B18772C874843E5DDC3900D2A1B8.tpdjo14v_1?idSectionTA=LEGISCTA000006171199&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20140822

http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000543037&fastPos=5&fastReqId=1968095915&categorieLien=id&oldAction=rechTexte

Editions Francis Lefebvre

http://www.efl.fr/efl/actu/documents/info/br4734i001.htm

Sport et parrainage par des marques d’alcool et de tabac

http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=LEGI_023_0097