Le mécénat est-il vraiment un « hold-up d’État » ?

Introduction

La bloggeuse Christine Sourgins écrivait il y a quelques temps un billet d’analyse de l’article d’Yves Marek, volontairement provocateur, « Le mécénat contre les mécènes », publié dans le numéro 144 de la revue Commentaire. Ce post a été repris récemment par le blog de l’Iffres. Mécénat conseil se penche aujourd’hui sur la question, et vous offre son point de vue.

Article

Un cadre juridique trop strict ?

La critique d’Yves Marek sur la loi française encadrant le mécénat, principalement la loi Aillagon de 2003, est assez sévère : il considère ainsi que « le mécénat français repose sur un malentendu, voire une imposture ». Il observe tout d’abord que le mécénat est lié uniquement, dans l’imaginaire collectif, aux grandes institutions et aux entreprises du CAC 40. S’il est indéniable que ces dernières récoltent et participent pour une partie importante de l’ensemble du mécénat, il convient toutefois de souligner plusieurs points. Tout d’abord, il faut signaler la part très importante des PME et TPE dans le mécénat aujourd’hui : une enquête ADMICAL-CSA menée en 2014 avance un chiffre de 79% pour les TPE et 19% pour les PME, contre seulement 2% pour les grandes entreprises. Ensuite, il pourra être objecté que le devenir du mécénat, d’après son actualité, semble se diriger de plus en plus vers une démocratisation. Les institutions culturelles se tournent aujourd’hui vers le grand public afin de financer leurs campagnes de mécénat. Par exemple la grande campagne du Louvre, pour trouver les fonds nécessaires à la restauration de la Victoire de Samothrace, le musée ayant même dédié un service à la recherche de donateurs individuels. Il s’agit donc de deux aspects d’un même questionnement, et non pas des conceptions opposées du mécénat, comme le laisse entendre Monsieur Marek dans son article. Enfin, l’une des tendances actuelles est aussi de faire appel aux plateformes de dons en ligne, ou de financement participatif afin de récolter une partie des fonds recherchés et de créer une campagne de communication qui permette de fédérer les donateurs autour d’un projet.

Le mécénat culturel, seul aspect pris en compte.

Par ailleurs, il faut également faire remarquer que l’article porte uniquement sur le volet culturel du mécénat, or, la loi de 2003 s’applique dans un cadre beaucoup plus large, évoquant une déduction fiscale concernant les financements allant au profit « d’œuvres ou d’organismes d’intérêt général ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l’environnement naturel où à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises ». Il s’agit de ne pas oublier les autres secteurs qui peuvent récolter des fonds dans le cadre du mécénat, d’autant plus certains représentent une part plus importante que la culture. Par exemple le social ou la santé, qui représentent à eux deux quasiment cinq fois le budget reçu par la culture. Cette observation étant toutefois à nuancer, puisque le social associe parfois un angle culturel, dans le cadre du mécénat croisé, qui se pratique de plus en plus.

Le mécénat, réservé aux institutions publiques ?

Monsieur Marek évoque ensuite un privilège réservé aux institutions publiques. Cela est à relativiser également : les associations reconnues d’intérêt général, ainsi que les fondations reconnues d’utilité publique peuvent recevoir des dons qui ouvrent droit à des déductions fiscales dans le cadre du dispositif fiscal du mécénat.

L’argument avancé par l’auteur pour étoffer son réquisitoire est le suivant : « il s’agit d’une sorte de hold-up sur la générosité privée pour bien s’assurer qu’elle reste dans le giron de l’Etat et irrigue les champs que l’on veut arroser ». Le paradoxe est facile à pointer : d’un côté est dénoncé un dispositif fiscal qui coûte cher à la puissance publique, et qui « [encourage] la mauvaise gestion des institutions culturelles publiques » ; de l’autre, est pointé du doigt le « hold-up » d’un État qui veut s’assurer de l’endroit où est dépensé l’argent auquel il renonce dans ses ressources fiscales. Mais n’est-il pas légitime, pour la puissance publique, de vérifier et de flécher la manière dont est dépensée la manne à laquelle elle contribue en mettant en place un système de défiscalisation ? Sans oublier qu’une fois encore, les institutions publiques ne sont pas les seules à bénéficier de ce dispositif et que l’État participe aussi au financement de projets privés auxquels il a reconnu le statut d’intérêt général.

Pour finir, l’article évoque l’impossibilité de choisir, de par ce fléchage qu’organise l’État. Là encore, il s’agit de rappeler que le choix s’offre aux mécènes peut-être dans le grand nombre de domaines qui leurs sont proposés dans le dispositif légal en vigueur. La conclusion dénonce finalement un « système [qui] délaisse le champ considérable et beaucoup plus vaste d’un mécénat de passions et d’engagement ». Que penser alors des fondations créées par les entreprises qui exposent depuis plusieurs années de riches collections, des dons de collectionneurs privés, ou bien encore de l’engagement de long-terme de certains chefs d’entreprises dans le mécénat ?

En conclusion, il apparaît que le plaidoyer rédigé par Monsieur Marek est rude à l’égard d’un système qui est, certes perfectible, mais qui comporte néanmoins des avantages, notamment celui d’être l’un des plus incitatifs en Europe, et qui a apporté de belles preuves de réussite.

 

Pierre Joffre